AccueilPénale Autres documents Les demandes reposant sur l’arrêt Corbett – un document de recherche 2000

Les demandes reposant sur l’arrêt Corbett – un document de recherche 2000

Résumé

David M. Paciocco
Professeur de droit, Université d’Ottawa, Programme de common law
Le 11 mai 2000

La règle Corbett


Une demande reposant sur l’arrêt Corbett est une procédure utilisée par des accusés désireux de
témoigner à leur procès devant jury afin d’empêcher la Couronne d’invoquer l’article 12 de la
Loi sur la preuve au Canada. En vertu de l’article 12 de la Loi sur la preuve au Canada, on peut
contre-interroger les témoins, y compris l’accusé, au sujet de toutes condamnations antérieures et
faire la preuve de celles-ci si les témoins nient leur existence.

Selon la théorie sous-jacente à l’admissibilité des condamnations antérieures, celles-ci sont
pertinentes à la crédibilité ou à la fiabilité d’un témoin. Lorsque les condamnations se rapportent
à des infractions comportant un élément de malhonnêteté, on considère que ces condamnations
reflètent une moralité malhonnête ou un manque de fiabilité. Lorsque les condamnations se
rapportent à des infractions n’ayant rien à voir avec la malhonnêteté, on considère que les
condamnations antérieures démontrent que le témoin est une personne n’ayant aucun respect
pour les normes et les valeurs sociales et donc, qu’il n’est pas le genre de personne que l’on
devrait croire d’emblée. Ces croyances ne sont pas appuyées par les psychologues et elles ne sont
pas confirmées scientifiquement. Il s’agit de conclusions de « bon sens », bien ancrées dans la
tradition de common law.

Lorsque l’accusé témoigne, le fait de permettre au juge des faits de prendre connaissance des
condamnations pénales antérieures en appliquant l’article 12 comporte le risque que ces
condamnations soient utilisées à mauvais escient, contrairement à la règle de la « mauvaise
moralité ». La « règle de la mauvaise moralité », une règle de preuve de common law, interdit
aux juges des faits de se fonder sur la mauvaise moralité de l’accusé pour en déduire que, parce
que le prévenu est le genre de personne susceptible de commettre l’infraction dont il est accusé,
il est probablement coupable. Bien qu’en général on admet que la « mauvaise moralité » soit
pertinente quand il s’agit de déterminer si une personne est susceptible de commettre une
infraction, on craint qu’un jury qui prend connaissance de cette mauvaise moralité saute aux
conclusions et déclare l’accusé coupable, peu importe le poids des éléments de preuve
spécifiques versés au dossier. On craint aussi qu’un jury fasse moins de cas de la présomption
d’innocence s’il apprend que l’accusé est une personne méprisable. Si l’on se sert de la moralité
de l’accusé d’une manière ou de l’autre, celui-ci pourrait être victime de « préjugés » injuste.

L’effet combiné de l’article 12 et de la « règle de mauvaise moralité » mène au paradoxe suivant:
si l’accusé témoigne, le juge des faits peut utiliser les condamnations antérieures pour déduire 
sa mauvaise moralité, mais celle-ci ne doit servir qu’à évaluer la crédibilité de l’accusé en sa
qualité de témoin. Il ne doit pas tenir compte de cette mauvaise moralité pour se prononcer sur la
culpabilité de l’accusé. Avant l’arrêt Corbett, on estimait que les directives au jury suffisaient
pour empêcher ce genre de préjugé de se produire lorsque l’accusé témoignait. Il y a longtemps
que les psychologues, les réformateurs du droit, les commentateurs et même de nombreux juges
se posent des questions quant à l’efficacité de ces mises en garde. Même si la majorité de la Cour
dans l’arrêt Corbett a exprimé sa ferme conviction que les jurés sont capables d’analyser les
éléments de preuve et de respecter les directives, le fait même que la Cour suprême ait prévu la
demande reposant sur l’arrêt Corbett montre qu'elle était d’avis que, dans certains cas, une
directive donnée aux jurés ne sera pas adéquate et que le juge de première instance doit avoir le
pouvoir d’empêcher la Couronne de s’appuyer sur des condamnations antérieures pour contester
la crédibilité de l’accusé lorsque cela lui causerait un préjudice injustifié.

La règle Corbett peut être résumée ainsi:

Selon les principes énoncés dans l’arrêt Corbett , le juge de première instance jouit d’un pouvoir
discrétionnaire, qui peut être exercé sur demande de l’accusé avant ou pendant son
témoignage, d’exclure en tout ou en partie le casier judiciaire de l’accusé lorsque l’effet
préjudiciable de ce casier l’emporte sur sa valeur probante.


Il est important de signaler que même si l’accusé peut présenter une demande reposant sur l’arrêt
Corbett, le droit canadien est plus favorable à l’admissibilité des condamnations antérieures d’un
accusé comme preuve visant à réfuter la crédibilité du témoin que le droit en vigueur en
Angleterre, au Pays de Galles, en Australie ou en Nouvelle Zélande. Dans chacun de ces pays,
des règles complètement différentes s’appliquent à l’admissibilité des condamnations antérieures
de l’accusé d’une part, et aux condamnations antérieures des autres témoins, d’autre
part. L’admissibilité des condamnations antérieures comme preuve du manque de crédibilité
d’un accusé est strictement contrôlée. En fait, tant que l’accusé s’abstient d’attaquer la crédibilité
des témoins de la poursuite, sa moralité est strictement inadmissible sur la question de sa
crédibilité. Même aux États-Unis, le droit est plus restrictif qu’au Canada en ce qui a trait aux
condamnations antérieures ne se rapportant pas à des infractions de malhonnêteté. Il incombe à
la poursuite de démontrer que la valeur probante de ces éléments de preuve l’emporte sur leur
effet préjudiciable et, en ce qui concerne les condamnations prononcées il y a plus de dix ans,
que leur valeur probante l’emporte très largement sur leur effet préjudiciable.

La règle Corbett et la réforme du droit

L’état du droit relatif aux demandes reposant sur l’arrêt Corbett n’a pas suscité d’appels en
faveur d’une réforme ou l’adoption de modifications du droit de la part des membres de la
profession juridique ou des organismes de réforme du droit. D’ailleurs, l’évolution du pouvoir
discrétionnaire a mis un frein aux appels lancés de temps à autre afin de modifier l’article 12 de
la Loi sur la preuve au Canada de façon à accorder plus de protection à l’accusé.

Récemment, la demande reposant sur l’arrêt Corbett a fait l’objet d’une controverse considérable
à l’occasion du procès de Francis Roy pour le viol et le meurtre d’Alison Parrott. Dans cette
affaire, le juge de première instance a statué que la Couronne n’avait pas le droit de contre-
interroger M. Roy au sujet de ses deux condamnations antérieures pour viol. Cette décision, ainsi
que d’autres décisions excluant certains éléments de preuve dans cette affaire ont provoqué un
tollé de protestations dans le public et des demandes en vue d’une réforme du droit.

Il ressort clairement de l’examen de l’affaire Parrott et de ses répercussions que les objections
soulevées à l’égard de l’exclusion des condamnations antérieures de M. Roy pour viol reposent
sur la conviction qu’elles montraient qu'il était le genre de personne susceptible de violer et de
tuer une jeune fille. Ceux qui ont soulevé des objections à l’exclusion des condamnations
antérieures ont fait valoir que les jurés se devaient de connaître le genre de personne qu’ils
avaient à juger. Dans le cas de Roy, son passé de violeur était très pertinent à une poursuite
relative à un homicide sexuel.

Ceux qui connaissent bien le droit de la preuve se rendront compte immédiatement que cette
objection n’a rien à voir avec la règle énoncée dans l’arrêt Corbett. Ainsi qu’on l’a expliqué,
l’arrêt Corbett concerne le pouvoir discrétionnaire d’empêcher la Couronne de faire état de
condamnations antérieures dans le but d’alerter les jurés sur le fait que l’accusé est susceptible
d’être un mauvais témoin parce qu’il a la moralité d’une personne malhonnête – le genre de
personne qui ne peut dire la vérité sur quoi que ce soit. Ceux qui ont soulevé des objections à
l’exclusion des condamnations antérieures de Roy ne voulaient pas qu’elles soient admises dans
le seul but de montrer qu’il n’était pas une personne capable de dire la vérité au cours de son
témoignage. Le jury avait été mis au courant de la malhonnêteté de Roy car on avait fait état
d’autres condamnations pour des infractions comportant un élément de malhonnêteté. Ils
voulaient faire admettre les condamnations pour viol afin de prouver qu’il était le genre de
personne susceptible de violer et d’assassiner un enfant. Selon leur raisonnement, ces
condamnations auraient dû être admises, que Francis Roy témoigne ou non. La règle interdisant
de faire état des condamnations antérieures à cette fin s’appelle la « règle de la mauvaise
moralité ». De fait, même si c’est la règle Corbett qui était ciblée par les médias, c’est
l’application de la « règle de mauvaise moralité » qui a suscité des objections, de même que la
règle des « faits similaires » (régissant les situations dans lesquelles la preuve de mauvaise
moralité peut être admise en tant que preuve de la culpabilité).

Étant donné que c’est à tort que l’opinion publique a tourné en ridicule la règle Corbett, ce serait
une erreur de la modifier afin de réagir à ces critiques. Ce n’est pas la règle Corbett qui est la «
coupable ». S’il faut réformer le droit à l’issue des critiques soulevées dans la foulée du procès
Parrott, c’est la règle des faits similaires qui devrait être modifiée. Cette règle existe dans sa
forme actuelle depuis plus de 100 ans et s’appuie sur des principes qui caractérisent
raisonnablement le système actuel de justice pénale. S’il faut modifier la règle, il ne faut agir en
ce sens qu’à l’issue d’un examen détaillé et réfléchi de cette règle. Dans le document que j’ai
préparé, je ne me suis pas livré à ce type d’examen. On m’a demandé d’examiner l’arrêt Corbett
et c’est ce que j’ai fait. En décrivant la règle des faits similaires, je me suis limité à donner
seulement les détails nécessaires pour préciser mes explications et pour m’assurer que les raisons
justifiant l’exclusion de preuve relative à la mauvaise moralité, y compris les condamnations
antérieures, sont bien comprises. 

Force probante et préjudice

Même si personne ne réclame une réforme du droit relativement à la règle Corbett, un examen
attentif de la jurisprudence et des fondements théoriques de la décision démontre que son
application souffre d’un manque d’uniformité. Certains juges sont aussi dans l’incertitude quant
à l’application des principes pertinents. C’est à juste titre que la Conférence sur l’harmonisation
des lois m’a demandé d’élaborer des lignes directrices sur la manière d’établir un juste équilibre
entre la force probante et l’effet préjudiciable de la preuve et de faire les recommandations qui
s’imposent. Le modèle qui suit est fondé sur le droit en vigueur et, à mon avis, il donne des
directives permettant d’atteindre cet équilibre. Je recommande de modifier l’article 12 et d’y
ajouter des dispositions contenant les règles suivantes :

12(3) Lorsque le témoin est l’accusé, aucune question ne peut lui être posée et aucune preuve ne
peut être rapportée relativement à des condamnations antérieures à moins que

  • a) cette condamnation soit admissible autrement qu’en vertu de l’article 12, ou
  • b) l’admissibilité de la condamnation ne rende pas le procès inéquitable.

(4) Aux fins de l’alinéa (3)b), l’admission de la preuve d’une condamnation antérieure rend le
procès inéquitable lorsque la force probante de cette preuve sur la question de la crédibilité de
l’accusé en tant que témoin, seule ou en combinaison avec d’autres éléments de preuve, ne
l’emporte pas sur l’effet préjudiciable que la preuve de la condamnation antérieure est
susceptible d’avoir.

(5) Lorsqu’il évalue la force probante de la condamnation, le juge décide si l’infraction pour
laquelle l’accusé a été condamné, par elle-même ou en combinaison avec d’autres
condamnations, établit que l’accusé est

  • (a) une personne malhonnête, ou
  • (b) une personne qui par sa nature n’a que mépris pour la loi alors qu’il a un devoir légal et moral d’y obéir.

(6) Lorsqu’il fait son évaluation conformément au paragraphe (5), le juge prend en compte les
éléments suivants :

  • a) si les condamnations se rapportent à des infractions comportant des éléments de malhonnêteté,
  • b) le schéma des condamnations,
  • c) la gravité de l’infraction ou des condamnations figurant dans le casier judiciaire,
  • d) l’ancienneté des condamnations, et
  • e) l’importance de la crédibilité de l’accusé pour trancher l’affaire, y compris la question de savoir si les attaques de l’accusé sur la moralité des témoins de la poursuite accroissent l’importance de la crédibilité de l’accusé dans l’affaire.

(7) Lorsqu’il évalue le préjudice le juge prend en compte 

  • a) la tendance qu’aurait la nature, la gravité, ou le schéma des condamnations à enflammer les jurés contre l’accusé,
  • b) la tendance qu’auraient les condamnations, étant donnée leur similitude avec l’infraction reprochée à l’accusé, ou leur nature, leur schéma ou leur gravité, à entraîner les jurés à conclure que l’accusé est le genre de personne susceptible de commettre l’infraction qui lui est reprochée et
  • c) la question de savoir si le risque de préjudice peut être sensiblement réduit en expurgeant le casier judiciaire.

(8) Lorsqu’il évalue le préjudice, le juge prend pas en compte la mesure dans laquelle une
directive au jury peut écarter ce risque de ce préjudice.

(9) Lorsque la preuve des condamnations antérieures est admise conformément au présent
article, le juge de première instance informe le jury que ces condamnations n’ont été admises que
pour l’aider à évaluer la crédibilité de l’accusé en tant que témoin, et ne doivent pas servir à
déduire que, compte tenu de sa moralité, l’accusé est le genre de personne susceptible de
commettre l’infraction reprochée.

Paragraphe 12(3) projeté

12(3) Lorsque le témoin est l’accusé, aucune question ne peut lui être posée et aucune preuve ne
peut être rapportée relativement à des condamnations antérieures à moins que

 

  • a) cette condamnation soit admissible autrement qu’en vertu de l’article 12, ou
  • b) l’admissibilité de la condamnation ne rende pas le procès inéquitable.

L’alinéa a) est nécessaire car les condamnations antérieures de l’accusé sont admissibles, en
vertu du droit de la preuve, à deux fins, outre celles énoncées à l’article 12. On peut faire état de
condamnations antérieures en vertu de l’article 666 du Code criminel afin de réfuter la « bonne
moralité » de l’accusé qui invoque son honorabilité, et les condamnations antérieures peuvent
parfois être admissibles en vertu de la règle des faits similaires. Une demande reposant sur l’arrêt
Corbett ne devrait jamais avoir pour effet d’empêcher de faire état des d’éléments de preuve qui
sont par ailleurs admissibles à ces fins.

L’alinéa b), combiné aux autres disposition du paragraphe (3), vise à supprimer l’ambiguïté
inhérente au fait que la règle Corbett est énoncée en termes de « pouvoir discrétionnaire ».
Plusieurs interprètent le pouvoir de ne pas donner effet à l’article 12 comme étant une question
de choix, dépendant de l’appréciation de chaque juge. L’arrêt Corbett parle d’un pouvoir
d’exclusion « discrétionnaire ». L’existence même du pouvoir d’exclusion repose dans ce cas
sur le pouvoir discrétionnaire prévu par le common law de refuser d’admettre des éléments de
preuve qui sont en principe admissibles. Cependant, le terme « discrétionnaire » est ambigu.
Selon une interprétation extrême, un pouvoir discrétionnaire peut désigner un pouvoir absolu de
choisir. À l’autre extrême, il peut désigner le pouvoir de prendre des décisions sur l’application
de critères bien déterminés. Il ressort de l’examen de ce pouvoir et du simple bon sens que le
pouvoir discrétionnaire prévu dans l’arrêt Corbett est d’un type faible. Il s’agit du pouvoir de
déterminer si le préjudice que peut causer l’admission de la preuve l’emporte sur sa force 
probante et donc si elle rend le procès inéquitable. Il ne s’agit pas du pouvoir de choisir
d’autoriser l’interrogatoire ou d’admettre la preuve, même si le risque de préjudice l’emporte sur
sa force probante. Autrement dit, il ne s’agit pas du pouvoir discrétionnaire de faire subir à
l’accusé un procès équitable. À mon avis, cet aspect doit être précisé et je pense que le libellé du
paragraphe (3) projeté y parvient.

Paragraphe (4) projeté

(4) Aux fins de l’alinéa (3)b), l’admission de la preuve d’une condamnation antérieure rend le
procès inéquitable lorsque la force probante de cette preuve sur la question de la crédibilité de
l’accusé en tant que témoin, seule ou en combinaison avec d’autres éléments de preuve, ne
l’emporte pas sur l’effet préjudiciable que la preuve de la condamnation est susceptible d’avoir.

Si d’un côté l’objectif de la règle Corbett est de faire en sorte que les procès demeurent
équitables, le critère d’admissibilité est énoncé dans ce paragraphe. Cette question a suscité une
certaine confusion. Certains juges ont simplement revendiqué le pouvoir d’interdire le contreinterrogatoire à cet effet lorsque l’admissibilité aurait eu pour conséquence de rendre le procès
inéquitable. Même si cette affirmation reflète bien l’objectif sous-jacent du pouvoir
discrétionnaire énoncé dans l’arrêt Corbett, on ne sait rien du critère à appliquer. C’est ce que fait
le paragraphe (4), et il faut insister là-dessus. Le paragraphe (4) dit aussi expressément que c’est
bien à la crédibilité de l’accusé en tant que témoin que la force probante de la preuve des
condamnations antérieures doit se rapporter afin de pouvoir être admissibles en vertu de l’article 12.

Il y a de bonnes raisons d’affirmer que la loi doit exiger, avant de courir le risque de causer un
préjudice au procès de l’accusé dans l’intérêt de donner des renseignements concernant la
crédibilité de celui-ci en tant que témoin, que la force probante l’emporte largement sur l’effet
préjudiciable que l’admissibilité des preuves aurait. On parle ici des règles applicables aux « faits
similaires ». Comme la plupart des cas reposant sur l’arrêt Corbett n’appliquent pas cette formule
plus prudente, je ne l’ai pas incluse dans le projet de paragraphe, mais dans le document
d’information, j’invite à la réflexion sur la question de savoir si cette formulation de la règle est
plus appropriée.

Paragraphe (5) projeté

(5) Lorsqu’il évalue la valeur probante de la condamnation, le juge décide si l’infraction pour
laquelle l’accusé a été condamné, par elle-même ou en combinaison avec d’autres
condamnations, établit que l’accusé est

 
  • (a) une personne malhonnête, ou
  • (b) une personne qui par sa nature n’a que mépris pour la loi alors qu’il a un devoir légal et moral d’y obéir.
À l’heure actuelle, de nombreux jugements prétendent analyser la force probante sans donner les
raisons selon lesquelles la preuve des condamnations antérieures est jugée pertinente à la
crédibilité. L’analyse de la jurisprudence et des commentaires révèle ces notions distinctes de la 
pertinence. Il est important de les mentionner afin de pouvoir insister sur l’appréciation de la
force probante.

Paragraphe (6) projeté

(6) Lorsqu’il fait son évaluation conformément au paragraphe (5), le juge prend en compte les
éléments suivants :

 
  • a) si les condamnations se rapportent à des infractions comportant des éléments de malhonnêteté,
  • b) le schéma des condamnations,
  • c) la gravité de l’infraction ou des condamnations figurant dans le casier judiciaire,
  • d) l’ancienneté des condamnations, et
  • e) l’importance de la crédibilité de l’accusé pour trancher l’affaire, y compris la question de savoir si les attaques de l’accusé sur la moralité des témoins de la poursuite accroissent l’importance de la crédibilité de l’accusé dans l’affaire.

Un examen de la jurisprudence et de la doctrine, des commentaires concernant la réforme du
droit et des règles de droit en vigueur dans d’autres administrations révèlent que tels sont les
facteurs cruciaux pour évaluer la force probante de la preuve des condamnations antérieures eu
égard à la crédibilité de l’accusé.

Alinéa (6)a) projeté – Infractions comportant des éléments de malhonnêteté

On reconnaît en général que les infractions comportant des éléments de malhonnêteté tendent à
être plus pertinentes à la crédibilité de l’accusé que d’autres infractions. D’ailleurs, aux ÉtatsUnis, les infractions comportant des éléments de malhonnêteté sont absolument admissibles en
vertu des Federal Rules of Evidence, tandis que les condamnations relatives à d’autres
infractions ne sont admissibles que sous condition et, pour en faire état, le poursuivant a la
charge de justifier leur utilisation. Certains partisans d’une réforme du droit soutiennent avec
insistance que, sauf si une infraction comporte des éléments de malhonnêteté, elle n’a aucune
pertinence et ne doit pas être admise du tout. Quoique la jurisprudence relative à la règle Corbett
ne va pas aussi loin, il est clair qu’elle donne la priorité aux infractions comportant des éléments
de malhonnêteté. C’est donc un facteur que j’ai retenu. Je signale dans le document
d’information la question de savoir s’il faut admettre la preuve des condamnations antérieures
relatives aux infractions autres que celles qui comporte des éléments de malhonnêteté mérite
réflexion, mais je ne fais aucune recommandation à cet égard.

Alinéa (6)b)projeté – Le schéma des condamnations

De même, le schéma des condamnations peut influer sur la décision ayant trait à l’admissibilité,
y compris le nombre d’infractions, et la question de savoir si les infractions sont regroupées dans
le temps ou selon leur nature. Pour illustrer mon propos, on considérera en général qu’un casier
judiciaire dans lequel figurent quelques infractions comportant des éléments de malhonnêteté
anciennes, puis une période creuse et ensuite une infraction relative à la conduite d’un véhicule,
sera moins probant du point de vue de la crédibilité qu’un casier révélant des infractions 
constantes, y compris des infractions comportant des éléments de malhonnêteté commises de
façon répétée.

Alinéa (6)c) projeté – La gravité de la condamnation

Lorsque la force probante d’un casier judiciaire dépend de la conclusion que l’accusé est « une
personne qui, de par sa nature, n’a que mépris pour la loi alors qu’il a un devoir légal et moral de
lui obéir d’y obéir », ce dossier aura une plus grande force probante si les condamnations se
rapportent à des infractions graves. On peut en dire autant lorsque le casier judiciaire révèle des
infractions comportant des éléments de malhonnêteté et leur force probante dépend de la
conclusion selon laquelle l’accusé est une personne malhonnête. Plus l’infraction est grave, plus
la conduite en cause est susceptible d’avoir été malhonnête. La gravité des infractions se reflète
en termes de facteur dans les dispositions législatives comparables au niveau international et a
été mentionné dans la jurisprudence relative à la règle Corbett.

Alinéa (6)d) projeté – L’ancienneté de la condamnation

L’ancienneté des condamnations est aussi un facteur mentionné dans la jurisprudence relative à
la règle Corbett pour des raisons évidentes. En un mot, on part du principe selon lequel parfois, «
les gens changent ».

Alinéa (6)e) projeté – L’importance de la crédibilité

Ce dernier facteur est plus complexe. La première expression est claire. Plus une affaire se joue
sur la crédibilité, plus le casier judiciaire de l’accusé est important. Bien qu’il soit difficile
d’imaginer que la crédibilité du témoignage d’un accusé puisse être sans importance, certaines
affaires se jouent entièrement sur la crédibilité. Lorsque c’est le cas, la jurisprudence et la
doctrine donnent à penser que l’honnêteté de l’accusé prend une importance accrue.

La seconde expression de l’ébauche de l’alinéa e), « la question de savoir si les attaques de
l’accusé sur la moralité des témoins de la poursuite accroissent l’importance de la crédibilité de
l’accusé dans l’affaire » nécessite plus d’explications. En Angleterre, en Australie, en NouvelleZélande et aux États-Unis en vertu des Federal Rules of Evidence, le principal facteur à faire
valoir pour faire admettre le casier judiciaire d’un accusé afin d’établir son manque de crédibilité
est la manière dont l’accusé a mené sa défense. Si un accusé attaque la moralité d’un témoin
assigné par la poursuite, ses propres condamnations antérieures deviennent admissibles afin
d’établir son absence de moralité. On soumet deux justifications. La première porte sur l’équité
pure et simple. Si l’accusé veut attaquer la crédibilité des témoins de la Couronne, il ne peut
demander la protection de la loi afin d’empêcher les attaques contre sa propre crédibilité. La
deuxième justification repose sur la théorie de la « pertinence ». On raisonne que c’est l’accusé
qui a soulevé la pertinence de sa propre crédibilité en choisissant de se défendre en invoquant le
manque de crédibilité d’un témoin de la poursuite.

Chacune de ces théories pose des problèmes. Selon moi, la justification d’« équité », bien
qu’attrayante intuitivement, ne tient pas. Si l’effet préjudiciable des condamnations pénales
antérieures l’emporte sur leur force probante, au point que l’admission de ces condamnations 
rende le procès inéquitable, devient-il plus acceptable de soumettre l’accusé un procès
inéquitable parce qu’il a choisi de se fonder sur des preuves concernant les témoins de la
poursuite admissibles par hypothèse et pertinentes selon le droit de la preuve?

Ensuite, la théorie de la « pertinence » soulève des problèmes qui lui sont propres. Selon les
règles de droit bien établies en matière de charge de la preuve, un procès ne doit pas être un
concours de crédibilité. Le juge des faits ne doit pas trancher en décidant qui de l’accusé ou des
témoins de la poursuite sont plus crédibles. C’est une erreur de droit d’agir ainsi. Et pourtant, la
justification de « pertinence » repose sur la prémisse selon laquelle si l’accusé conteste la
crédibilité des témoins de la poursuite, il doit mettre en jeu sa propre crédibilité.

En raison des faiblesses de chaque justification, il me semble qu’il faut penser à supprimer de la
liste des facteurs pertinents la conduite de l’accusé qui conteste la crédibilité de témoins de la
poursuite. Je dois reconnaître, cependant, que ce facteur a été décisif dans l’affaire Corbett ellemême, qu’il est attrayant d’un point de vue intuitif et qu’il bénéficie d’un solide consensus
même à l’étranger. Par conséquent, je n’irai pas jusqu’à recommander d’écarter ce facteur, bien
qu’il pose des problèmes au plan analytique. Étant donné que la justification d’équité entre en
conflit avec les principes fondamentaux du processus de justice pénale, j’ai lié la conduite d’un
procès pour l’accusé et la justification de pertinence, ce qui était, à mon avis, l’intention du juge
en chef Dickson dans Corbett.

Paragraphe (7) projeté

(7) Lorsqu’il évalue le préjudice le juge prend en compte
  • a) la tendance qu’aurait la nature, la gravité, ou le schéma des condamnations à enflammer les jurés contre l’accusé,
  • b) la tendance qu’auraient les condamnations, étant donnée leur similitude avec l’infraction reprochée à l’accusé, ou leur nature, leur schéma ou leur gravité, à entraîner les jurés à conclure que l’accusé est le genre de personne susceptible de commettre l’infraction qui lui est reprochée et
  • c) la question de savoir si le risque de préjudice peut être sensiblement réduit en expurgeant le casier judiciaire.
Les alinéas a) et b) de cette disposition visent à expliquer comment la preuve des condamnations
antérieures peut avoir un effet « préjudiciable ». Selon moi, il est préférable d’énoncer clairement
ces conséquences.

L’alinéa c) reconnaît que les tribunaux diminuent fréquemment les effets préjudiciables des
condamnations antérieures en retranchant les renseignements les plus préjudiciables. Bien qu’il y
ait là un risque d’induire en erreur le juge des faits en lui faisant croire que le casier judiciaire est
moins répugnant qu’il ne l’est en réalité, il s’agit d’une pratique courante et qui est justifiée d’un
point de vue pragmatique. À défaut de pouvoir agir ainsi dans le cas où un casier judiciaire est
trop préjudiciable dans sa version intégrale, la poursuite serait empêchée d’utiliser le casier
judiciaire de l’accusé. Mieux vaut communiquer les éléments pertinents à la moralité en faisant
état d’une version partielle du casier judiciaire plutôt que de ne rien faire du tout. 

Paragraphe (8) projeté

(8) Lorsqu’il évalue le préjudice, le juge prend pas en compte la mesure dans laquelle une
directive au jury peut écarter ce risque de ce préjudice.

La cause principale du manque d’uniformité dans l’application de l’arrêt Corbett vient du fait
que différents juges n’ont pas le même degré de confiance en l’efficacité des directives aux jurés.
Certains croient qu’elles peuvent écarter le risque de préjudice. D’autres sont d’un avis contraire.
Il en résulte des niveaux de tolérance différents. Cette situation est inacceptable parce qu’elle
entraîne une incohérence découlant de l’absence de principes. Tout devient une question
d’opinion et le sort d’une demande reposant sur l’arrêt Corbett dépend du juge qui tranche la
question. Ce genre d’irrégularité de résultats entre les juges se produit dans le processus
d’application de nombreuses règles juridiques et il est endémique dans le processus de
détermination des faits, mais le droit ne doit pas faire de la subjectivité judiciaire une
caractéristique acceptable d’une règle. Si un facteur ne comporte aucun guide, on ne devrait pas
l’utiliser comme facteur.

Comme il a été mentionné, l’existence même de l’arrêt Corbett constitue une reconnaissance du
fait qu’une directive donnée à un jury ne suffira pas toujours à écarter le risque de préjudice. À
l’évidence, les juges ne sont pas en mesure de savoir si un jury est capable de respecter une telle
directive, donc la décision d’autoriser ou de ne pas autoriser la Couronne à faire état du casier
judiciaire doit dépendre de sa force probante et du risque de préjudice que pose la nature des
condamnations. En d’autres termes, compte tenu de l’examen de la jurisprudence et de la
doctrine et d’une étude des principes en cause, je suis d’avis que la position correcte est la
suivante : lorsque la force probante l’emporte sur le risque de préjudice, on peut se fier à une
directive au jury pour supprimer ce qui reste du risque de préjudice, mais lorsque le risque de
préjudice l’emporte sur la force probante, on ne peut alors pas compter sur une telle directive.
Par conséquent, l’existence de la directive ne devrait pas constituer un critère indépendant de
l’évaluation du préjudice, de la force probante et de l’admissibilité. Cette règle doit être
clairement énoncée parce que plusieurs juges s’en remettent à leurs propres théories concernant
l’efficacité ou le manque d’efficacité d’une directive au jury pour justifier l’admission ou
l’exclusion d’un casier judiciaire, et ce sans égard à la force probante et la nature préjudiciable
des condamnations antérieures en cause.

Paragraphe (9) projeté

(9) Lorsque la preuve des condamnations antérieures est admise conformément au présent
article, le juge de première instance informe le jury que ces condamnations n’ont été admises que
pour l’aider à évaluer la crédibilité de l’accusé en tant que témoin, et ne doivent pas servir à
déduire que, compte tenu de sa moralité, l’accusé est le genre de personne qui est susceptible de
commettre l’infraction reprochée.

Cette mise en garde optimale doit être transmise aux jurés. Elle reflète l’état du droit. Bien que le
fait d’inclure des exigences relatives à la mise en garde dans le texte de loi soulève le spectre de
l’incitation à en appeler des décisions, la loi exige néanmoins une mise en garde. L’article 276 
constitue un précédent concernant l’inclusion de dispositions prévoyant une mise en garde
obligatoire dans un texte de loi en matière de preuve.

Conclusion

Le document d’information ci-joint est volumineux et détaillé. J’ai tenté d’expliquer chaque
concept pertinent, d’examiner les règles connexes et de faire une analyse globale de l’état du
droit. La jurisprudence et la doctrine, les dispositions législatives pertinentes et les régimes
internationaux qui ne sont mentionnés qu’incidemment dans le présent résumé y sont exposées
de façon plus détaillée. Toutes les questions qui restent obscures dans le présent résumé sont
expliquées plus clairement, je l’espère, dans le document de travail.

David M. Paciocco
Le 11 mai 2000